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Poésie, nouvelles et contes

Poésie, nouvelles et contes
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Femme au volant

14 février 2010
par Lémuel

Le monde est étonnant. Au cours du dernier siècle, tellement de choses avaient changé. Les gens d’avant, du XXème siècle, avaient tant rêvé de l’an 2000. Ils s’étaient déjà imaginés passer leurs vacances sur la lune, tandis que des machines et des robots les auraient libérés des basses tâches ménagères et du travail, pour que tous puissent vivre dans l’opulence et le confort. En l’an 2000, ils avaient du être déçus.
Certes, les technologies avaient évolué, mais pas dans cette conception archaïque et naïve que les pays développés s’étaient imaginés. Non, il avait fallu attendre un peu plus, l’horizon 2100, pour que de telles choses deviennent possibles. On pouvait maintenant aller sur la lune passer ses vacances, vaste connerie selon Lucas. Qu’est-ce qu’on avait besoin d’aller s’exiler sur un caillou dans l’espace, à l’étroit dans ces bunkers d’acier dont la décoration voulait donner l’illusion du luxe ? On était bien mieux sur le plancher des vaches à l’air libre.
Que penser aussi de tous ces fameux robots industriels ? On avait frôlé la catastrophe. Le chômage augmentait au fur et à mesure des avancées dans ce domaine. Heureusement, des petits malins avaient eu la bonne idée de détraquer toujours plus les systèmes informatiques avec de jolis petits virus. Grâce à eux, le travail avait repris. Maintenant, la moitié des humains se contentait, pour toute occupation professionnelle, de réparer et protéger ces saletés de machine, tandis que l’autre moitié en inventait de plus farfelues, toujours plus perfectionnées, donc toujours plus fragiles et sujettes à réparation et entretien. Esclaves de nos esclaves…
Mais certaines choses n’avaient pas changé, ou plutôt certaines personnes n’avaient pas évolué. Lucas pensait aux femmes. Ah ! Toujours pas foutues de conduire convenablement ! Surtout dans un parking ! Mais un constructeur automobile venait de créer la voiture dont rêvaient toutes les femmes, la voiture qui dominait la sphère de l’asphalte selon leur fameux slogan publicitaire. Les traditionnelles roues avaient été remplacées par quatre sphères qui pouvaient se mouvoir en tout sens. Ainsi, les déplacements les plus fous étaient permis, et l’on pouvait aussi bien rouler tout droit, qu’en diagonale ou de côté.
Le succès foudroyant de cet engin, surtout auprès des femmes, était facile à expliquer. C’est qu’au moment de se garer, tout devenait simple, adieu les créneaux compliqués ! Un petit déplacement sur le côté et hop ! on pouvait se nicher délicatement entre deux voitures sans le moindre effort surtout avec l’armée de capteurs électroniques qui analysait la situation et guidait le conducteur qui n’avait presque plus rien à faire. Mais où était donc passé le plaisir de la conduite ?
La femme de Lucas n’avait pas échappé au matraquage des ondes commerciales et s’était empressée de s’acheter une de ces petites merveilles. Et maintenant, elle avait le plaisir de conduire même quand la circulation était dense et les places de stationnement rares comme elles le sont un jour de solde. La rumination de Lucas fut interrompue par la sensation désagréable qui l’envahit d’un coup. Il n’était toujours pas habitué. Sa femme ayant aperçu une place libre devant une boutique de fringues venait juste d’entamer une des ces manœuvres de côté pour se garer. Ce passage perpendiculaire d’une direction à l’autre lui faisait toujours perdre l’équilibre.
Il sortit de la voiture en maugréant et accompagna sa femme, bien malgré lui, dans le magasin devant eux. Les soldes ! Les fringues ! Les femmes ! Seules capables de ralentir le rythme de la modernité. Au siècle précédent, les femmes passaient des heures dans des boutiques à essayer, essayer, et réessayer des vêtements, des chaussures, des accessoires pour dénicher la tenue parfaite, à la mode, mais pas comme celle des copines. Cela avait bien changé et en même temps si peu… Plus besoin de se déshabiller et rhabiller constamment, un simple appareil avait tout révolutionné, une sorte de miroir. Une caméra et un ordinateur affichaient sur cet écran votre reflet paré de toutes les tenues que votre imagination avait envie d’accommoder au lieu de vous renvoyer votre véritable image. Cette robe… une pression sur la télécommande et voilà qu’elle change devant vos yeux. Une paire de chaussures pour aller avec… une autre petite pression du doigt et en voilà le reflet exact qui s’affiche sur vos pieds. On pouvait ainsi essayer plus de cinq cent ensembles différents en l’espace d’une heure. Mais au lieu de prendre moins de temps, les femmes préféraient en voir plus. Et au lieu de quelques minutes, cela durait toujours quelques heures. Navrant !
A la fin de ce long calvaire vestimentaire, Lucas était excédé et l’idée de subir à nouveau les déplacements hérétiques de la voiture de sa femme l’excédait encore plus. Il n’avait, en outre, toujours pas compris la nécessité qu’il avait eue de devoir l’accompagner. Il se cala dans son siège et attendit. Sa femme avait posé son pouce sur le tableau de bord pour démarrer le véhicule et pris en main la commande de conduite. Plus de volant, pas dans ce modèle, une espèce de joystick l’avait remplacé ! Mais le véhicule ne bougeait pas. Nouvelle tentative, nouvelle échec. Voilà que cette saleté de machine pour gonzesse commençait à faire des siennes. Lucas riait intérieurement. De la camelote ! Ca ne valait pas une vraie voiture ! Plus sa femme réessayait, plus il sentait son contentement intérieur grandir. Il ne put réprimer un rire tonitruant.
Sa femme se retourna vers lui, une incompréhension dans le regard puis haussa les sourcils.
« Tu veux essayer ? »
Lucas, le triomphe sur les lèvres, le dos droit, la poitrine en avant, lâcha d’une voix grave :
« Laisse faire l’homme. »
Décidément, sa femme le trouvait bizarre aujourd’hui. Elle sortit du véhicule pour lui céder la place du conducteur. Il ne se fit pas prier. Il prit la commande en main d’un geste brusque et viril qui perturba profondément la transmission sensible et réactive. Un crissement de sphère se fit entendre sur l’asphalte et dans un tournoiement la voiture s’éjecta dans la vitrine du magasin.

Certains hommes non plus n’avaient pas évolué.


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